dimanche, 27 mai 2012
Ces bêtes qu’on abat : Description des différentes méthodes d’abattage
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :
Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.
Description des différentes méthodes d’abattage
Dans ce chapitre, je vais décrire la manière dont se passe ou devrait se passer un abattage selon la réglementation. Ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. J’accompagnerai mes propos de références législatives, car les méthodes d’abattage sont codifiées et ne s’improvisent pas. Vous pourrez comparer les différentes pratiques avec les situations vécues lors de mes visites d’abattoirs, décrites dans des chapitres suivants, qu’elles soient bonnes ou mauvaises.
Il faut savoir que les postes d’abattage sont différents suivant les animaux et suivant l’aménagement de l’abattoir. Certains sont utilisés pour plusieurs espèces. Les locaux, les installations et les équipements des abattoirs doivent être conçus, construits, entretenus et utilisés de manière à épargner aux animaux toute excitation, douleur ou souffrance évitables (chapitre II du décret 97-903 du 1er octobre 1997). Les abattoirs doivent être équipés et aménagés conformément aux textes réglementaires relatifs à la protection des animaux au moment de leur abattage (décret 97-903 du 1er octobre 1997 et arrêté du 12 décembre 1997).
La mise à mort des animaux comprend trois phases : l’immobilisation, l’étourdissement, l’abattage.
L’immobilisation des animaux par un moyen de contention est obligatoire avant tout abattage (annexe II de l’arrêté du 12 décembre 1997), excepté pour les volailles, les lapins et les petits gibiers domestiques. La suspension des animaux est interdite avant leur étourdissement ou leur mise à mort (décret 97-903 du 1er octobre 1997 art. 7).
L’étourdissement désigne tout procédé qui, lorsqu’il est appliqué à un animal, le plonge immédiatement dans un état d’inconscience où il est maintenu jusqu’à sa mort (décret du 1er octobre 1997 chapitre I point d). Il est obligatoire avant tout abattage ou mise à mort des animaux, à l’exception de l’abattage rituel (décret du 1er octobre 1997 chapitre II art.8). Les procédés autorisés (arrêté du 12 décembre 1997 art.3) sont les suivants : pistolet à percussion à tige perforante ou à masselotte ; électronarcose1 ; exposition au dioxyde de carbone. Les matériels utilisés doivent satisfaire aux conditions énoncées à l’annexe III de cet arrêté.
L’abattage consiste dans le fait de mettre à mort un animal par saignée. La saignée comprend l’incision d’au moins deux carotides et des vaisseaux sanguins jusqu’à la fin de l’écoulement du sang (arrêté du 12 décembre 1997 annexe V). La saignée doit commencer le plus tôt possible après l’étourdissement et en tout état de cause avant que l’animal ne reprenne conscience (décret 97-903 du 1er octobre 1997, art. 9).
Bovins qui viennent d’être saignés et qui se vident de leur sang jusqu’au dernier souffle.
Phot Jean-Luc Daub
Mise à mort des porcs et des coches (truies)
Deux cochons morts lors d’un transport d’une crise cardiaque. Phot Jean-Luc Daub
Étourdissement et abattage
Pour que les abattages soient correctement faits, il faut un piège de contention et une électronarcose efficace. Le piège de contention sert à maintenir l’animal pour qu’il ne puisse plus bouger. Cela permet aussi à l’opérateur d’effectuer l’étourdissement dans de bonnes conditions de sécurité. L’étourdissement sert à plonger l’animal dans un état d’inconscience afin de lui éviter de souffrir lors de la saignée. Pour cela, on pratique une électronarcose, soit automatiquement dans un Restrainer2, soit manuellement à la l’aide d’une pince électrique pour faire subir à l’animal un choc électrique de courte durée, mais de grande intensité.
Dans le cas d’un étourdissement automatique, l’animal est conduit par un étroit chemin d’amenée vers un Restrainer. L’animal est véhiculé par deux bandes qui l’entraînent vers les broches électriques qui entrent en contact avec la tête. Après avoir subi le choc électrique, l’animal est éjecté sur une table, puis suspendu par une patte arrière. Dans certains abattoirs, les cochons sont saignés directement sur la table (ce qui est préférable), dans d’autres ils sont saignés après la suspension. Dans tous les cas, ils doivent être saignés le plus rapidement possible, car si l’électronarcose est bien faite, l’animal n’étant pas tué par ce procédé, il se réveille quelque temps après. Mais, il est pratiqué parfois une électronarcose jusqu’à la mort de l’animal.
Dans le cas d’un étourdissement manuel, l’animal est conduit par un étroit couloir dans une caisse piège qui se referme derrière lui. L’animal ne peut ni avancer, ni reculer, on dit qu’il est immobilisé. Un opérateur, appelé généralement un tueur, à l’aide d’une pince électrique pratique l’électronarcose, en appliquant les deux électrodes soit sur les tempes, soit derrière les oreilles. La pince électrique ne doit pas être appliquée sur les yeux.
Certaines pinces délivrent le choc électrique de façon tempérée dans un court temps et avec une forte intensité. Parfois, c’est l’opérateur qui estime la durée d’application de la pince, ce qui n’est pas toujours heureux, car si la pince est mal réglée, l’animal subit des électrocutions et donc de la douleur, plutôt qu’un étourdissement qui doit en principe éviter la douleur causée par les opérations qui suivent. Lorsqu’on ouvre le piège, l’animal tombe sur une table ou sur le sol, il est suspendu et saigné après. Il arrive que l’abattoir ne soit pas équipé de piège ; les cochons ou les moutons sont alors étourdis l’un après l’autre dans la case même du poste de l’abattage. Cela crée un mouvement de panique et de peur parmi les animaux.
Cochons attendant leur mort dans un abattoir. Phot Jean-Luc Daub
Dans tous les cas, les porcs doivent être immobilisés par un moyen de contention avant l’étourdissement. L’étourdissement est effectué par électronarcose ou par inhalation de CO2 ou, si nécessaire, au pistolet d’abattage (qui n’étourdit pas, mais qui tue). L’électronarcose peut être réalisée mécaniquement dans un Restrainer équipé d’un poste d’étourdissement automatique ou manuellement par l’application d’une pince électrique au niveau de la tête. Certains abattoirs utilisent une fosse à CO2 pour endormir les porcs, mais ces installations sont source de souffrance, car les animaux paniquent lors de la descente dans la fosse. Les porcs ne doivent pas se réveiller pendant la suspension et la saignée.
Le test occulopalpébral3 peut être effectué en passant légèrement le doigt sur les sourcils pour s’assurer que les cochons sont bien anesthésiés. Les porcs doivent être étourdis un à un et saignés rapidement. La saignée est pratiquée sur un tapis roulant ou sur une table à la sortie de la contention ou généralement après la suspension et avant qu’ils ne reprennent conscience. Elle est effectuée soit au couteau soit à l’aide d’un trocart4.
Cochon blessé, baignant dans son sang sur le quai d’un abattoir. Phot Jean-Luc Daub
Mise à mort des bovins, vaches, veaux et chevaux
Il existe deux types d’abattage : l’abattage classique ou non religieux et l’abattage rituel à caractère religieux. Dans le deuxième cas, les animaux peuvent être abattus selon le rite religieux juif ou musulman. Ils sont abattus sans être étourdis. Une contention mécanique (décret 97-903 du 1er octobre 1997, chapitre II, art.12) et un sacrificateur habilité (art.13 du même décret) sont obligatoires pour cette pratique.
Cheval grattant le sol pour chercher une sortie sur la quai d’un abattoir. Phot Jean-Luc Daub
Abattage classique
Les animaux sont conduits par un étroit chemin d’amenée vers un piège de contention où ils ne peuvent ni avancer ni reculer. À l’aide d’un pistolet à tige perforante, le tueur effectue un étourdissement en l’appliquant sur la partie frontale de l’animal. La boîte crânienne étant perforée jusqu’au cerveau, l’animal perd connaissance et tombe. On ouvre ensuite le piège, puis on suspend l’animal par une patte arrière avant de pratiquer la saignée. Cette méthode est utilisée pour les bovins, les chevaux et les veaux.
Dans tous les cas, les bovins, vaches, veaux et chevaux sont étourdis à l’aide d’un pistolet à tige perforante appliqué sur le crâne. Ils doivent être immobilisés par un moyen de contention avant l’étourdissement, soit dans un caisson en béton ouvert sur le dessus, soit dans un box métallique ou un box rotatif utilisé pour l’abattage rituel. Le pistolet à tige perforante fonctionne par cartouches ou par air comprimé. Les animaux doivent être étourdis un à un et la saignée doit intervenir rapidement (généralement, elle est effectuée après la suspension).
Abattage rituel
Mouton attendant son égorgement lors de l’aid el kébir, les pattes sont ficelées, il a été déposé devant un local poubelle dans une cité.
Phot Jean-Luc Daub
Les animaux sont conduits, un par un, par un couloir étroit dans un box rotatif. C’est un peu comme un grand tambour de machine à laver. L’animal entre d’un côté et de l’autre côté seule la tête dépasse. Le box est alors retourné jusqu’à ce que l’animal ait les quatre pattes en l’air et le dos en bas. La tête qui dépasse est à l’envers, ce qui fait que le sacrificateur à l’aide d’un couteau saigne en pleine conscience la bête au niveau de la gorge. Puis, on ouvre une porte latérale et l’animal tombe sur le sol. Il est ensuite suspendu par une patte arrière.
Mouton suspendu par une patte à plusieurs mètres du sol !
Phot Jean-Luc Daub
Dans tous les cas, la contention mécanique est généralement effectuée dans un box rotatif adapté aux gros bovins ou aux petits bovins, ainsi qu’aux veaux. L’animal doit être maintenu dans le box rotatif jusqu’à la fin de la saignée (écoulement du sang) (art. 2 de l’arrêté du 12 décembre 1997). La suspension par les pattes arrière, alors que l’animal est encore vivant, est interdite. Les sacrificateurs musulmans sont habilités par les grandes mosquées de Paris et de Lyon et la mosquée d’Evry, le cas échéant par le Préfet. Les sacrificateurs juifs sont habilités par le Grand Rabbinat de France.
Mise à mort des ovins et des caprins
Abattage classique
Etourdissement d’un mouton en abattage classique, suspendu par une patte.
Phot Jean-Luc Daub
Les moutons sont menés par un couloir étroit vers un piège de contention, soit le piège mécanique qui sert pour l’abattage rituel, soit une petite case en béton. Un employé étourdit les moutons à l’aide d’une pince électrique en l’appliquant sur les tempes ou derrière les oreilles. Comme pour les porcs, l’application de la pince doit être brève, mais avec une forte intensité, afin que le choc électrique plonge les moutons dans un état d’inconscience. Ils sont ensuite suspendus par une patte arrière et saignés. Parfois, les ovins et caprins sont abattus dans une case sans contention.
Dans tous les cas, les ovins et les caprins doivent être immobilisés par un moyen de contention avant l’étourdissement. L’immobilisation est effectuée soit dans un petit piège mécanique, soit au bout du couloir d’amenée. Ils sont étourdis à l’aide d’une pince électrique ou d’un pistolet à tige perforante au niveau du crâne. La saignée des animaux doit intervenir rapidement avant que l’animal ne reprenne conscience (généralement elle est effectuée après la suspension). La pince électrique ne doit pas être appliquée sur les yeux.
Abattage rituel
Comme pour les bovins, les moutons peuvent être abattus selon le rite religieux juif ou musulman. Ils sont abattus sans être étourdis. Une contention mécanique (décret 97-903 du 1er octobre 1997, chapitre II art.12) et un sacrificateur habilité (art.13 du même décret) sont obligatoires pour cette pratique.
Egorgement rituel d’un mouton, suspendu par une patte.
Phot Jean-Luc Daub
Les animaux sont conduits par un petit couloir vers un piège mécanique. Lorsqu’un mouton est entré dans le piège, les parois latérales se resserrent, compressant ainsi l’animal. Le piège est basculé sur le côté, présentant ainsi la gorge du mouton vers le sacrificateur. Ce dernier égorge le mouton en pleine conscience. L’opérateur ouvre le piège et suspend par une patte le mouton. Avant de le suspendre, le sacrificateur doit attendre la fin de la saignée. Il arrive que des abattoirs ne soient pas équipés du piège. Ils suspendent alors les moutons vivants et les saignent ensuite, ce qui est interdit.
Dans tous les cas, la contention doit être effectuée par un procédé mécanique. L’animal doit être maintenu dans la contention mécanique jusqu’à la fin de la saignée (écoulement du sang) (art. 2 de l’arrêté du 12 décembre 1997). La suspension par les pattes arrière, alors que l’animal est encore vivant, est interdite.
1 Électronarcose : procédé utilisé pour étourdir un animal au moyen d’un choc électrique avant de pratiquer la saignée.
2 Restrainer : moyen de contention en forme de couloir fait de deux bandes latérales en v qui entraînent les animaux soit vers un poste d’étourdissement manuel, soit vers des électrodes pour un étourdissement automatique. Il existe aussi ce que l’on appelle des Midas, qui répondent au même principe que le Restrainer, sauf que les cochons sont entraînés par le dessous.
3 Test qui peut être effectué sur un animal qui vient d’être étourdi, en frôlant du bout des doigts les cils, aucune réaction ne doit avoir lieu.
4 Trocart : couteau monté de plusieurs lames ajourées au bout d’un tuyau d’aspiration du sang, en cas de récupération de ce dernier.
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dimanche, 20 mai 2012
Ces bêtes qu’on abat : Le déroulement des visites d’abattoirs
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :
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Le déroulement des visites d’abattoirs
Mon travail d’enquêteur commençait par l’organisation de mes déplacements. Je choisissais sur la carte de France les abattoirs qui feraient l’objet d’un contrôle. En réalité, le mot « contrôle » n’était jamais employé devant les responsables d’abattoir. C’est le mot « visite » qui était employé, cela sonnait de manière moins répressive et permettait de moins freiner nos interlocuteurs dans leurs propos. Les visites s’effectuaient également sur dénonciation, soit de la part d’une personne extérieure à un abattoir, soit d’un employé qui faisait état de mauvais traitements ou d’abattages non conformes à la réglementation. Il est arrivé que ce soit un des membres des services vétérinaires de l’abattoir qui nous téléphone pour soulever un problème d’abattage qu’il ne pouvait pas résoudre. Soit parce que sa démarche n’avait pas abouti, soit parce qu’il n’avait pas eu le courage, ou la possibilité, de s’interposer pour éviter un mauvais traitement en raison de la pression ambiante et des conséquences sur le plan personnel que son intervention aurait pu entraîner.
Je me déplaçais dans toute la France, et pouvais faire jusqu’à plus de mille kilomètres. Il fallait parfois une journée entière de voiture pour se rendre dans le département dans lequel se situait l’abattoir à visiter.
La première étape consistait à trouver un hôtel situé dans la même ville que l’abattoir. Dans certaines villes, il n’y en avait pas. J’étais donc obligé d’aller assez loin, ce qui ajoutait à la fatigue des frais supplémentaires. La plupart des hôtels acceptaient les chiens et comme j’emmenais Robin dans tous mes déplacements, il me fallait intégrer sa présence dans l’organisation de ces déplacements. Il m’était important de l’avoir avec moi, car il me permettait de me détendre en compagnie d’un animal qui ne risquait pas de finir à l’abattoir. Aux yeux de l’association pour laquelle je faisais ces enquêtes, il ne devait pas y avoir de place pour les émotions ou les sentiments. L’important était que les animaux soient tués conformément à la législation, un point c’est tout ; car pour les personnes qui m’entouraient, le niveau de réflexion sur les animaux ne dépassait pas l’idée que : « L’animal est fait pour être mangé, on ne peut pas faire autrement ! ». La présence de mon chien me permettait d’oublier un peu ce manque de réflexion en échangeant avec lui affection et complicité. J’essayais de ne pas arriver trop tard le soir, car j’aimais parcourir les villes pour me cultiver après un long voyage, en me rendant dans les centres historiques et en entrant dans les cathédrales. Je me couchais en général de bonne heure pour être au mieux de ma forme, car les visites s’effectuaient très tôt au petit matin. Au lit, je préparais la journée en récapitulant les étapes de ma visite du lendemain, pour ne rien oublier d’important et de préjudiciable aux animaux après que j’aurai quitté l’abattoir.
Je prenais un bon petit-déjeuner pour tenir durant les longues et pénibles journées. Ce n’est pas un travail comme les autres : les premières réalités de la journée sont sanguinaires, la journée commence dans le sang. Je localisais l’abattoir la veille pour ne pas perdre de temps. Après avoir garé ma voiture, je prenais mon sac avec mon équipement et je tentais de trouver les bureaux ou, le cas échéant, je rentrais dans l’abattoir et demandais à voir un responsable. Je me présentais et j’expliquais le but de ma visite. Si la personne connaissait l’association pour laquelle je travaillais, elle me laissait en principe rentrer dans l’abattoir et faire la visite. Mais en réalité beaucoup ne savaient pas qu’elles n’étaient pas obligées de nous laisser entrer. Je m’équipais alors de la tenue réglementaire : ma blouse, mes bottes et mon casque. Habillé de blanc et de bottes alimentaires, j’étais prêt pour affronter la mort en face, sans pouvoir l’éviter aux animaux qui allaient vivre ce moment pourtant tant redouté par les hommes, mais qui n’ont pas de scrupules à le faire « vivre » aux animaux. J’effectuais parfois seul la visite, parfois avec le responsable de l’établissement, voire avec un vétérinaire ou un technicien des services vétérinaires se trouvant sur place, ou encore avec les personnes du service qualité, qui étaient en général des femmes. Je trouvais les femmes plus réceptives aux critiques et plus ouvertes à la négociation, au contraire des hommes qui se braquaient plus rapidement et avec lesquels s’installait vite un rapport de force, malgré toute la diplomatie dont je faisais preuve dans mes critiques. J’avais conscience de l’importance qu’il y avait pour moi à ne pas me tromper dans mes remarques. C’était encore plus pesant lorsque la visite s’effectuait en présence de plusieurs personnes ayant des responsabilités dans l’abattoir.
En général, après avoir assisté aux diverses étapes de l’abattage, je faisais le point avec le responsable ou le directeur. Je parlais de ce que j’avais trouvé de « bien », par exemple en matière d’installations dont n’étaient pas pourvus les autres abattoirs, et qui étaient de nature à améliorer la prise en compte de l’animal. Étaient également discutés les points plus critiquables et plus délicats, comme les infractions ou la pauvreté des équipements. Cette discussion devait permettre de faire prendre conscience des améliorations à mettre en œuvre par le responsable.
Je visitais en général deux abattoirs dans la matinée ou dans la journée, cela dépendait du temps passé dans le premier. Au-delà, c’était trop fatigant ; j’aurais alors pris le risque de voir s’altérer mes capacités d’observation et d’être moins précis dans mes constats. Il fallait également penser aux comptes rendus. Dans l’abattoir, il n’était pas bon de tout noter sur un calepin, car cela pouvait faire peur aux intervenants qui se seraient censurés. Je notais après les visites les éléments importants sur un brouillon qui me servait de support pour la rédaction des comptes rendus. C’était un exercice de mémoire colossal. Il fallait, aussi, lorsque les abattoirs avaient été visités, prévoir le départ pour une autre ville parfois distante de centaines de kilomètres. Si le temps n’était pas géré convenablement, la fatigue, les risques d’accidents, une moindre forme pour continuer le travail survenaient.
Ah, j’oubliais ! Entre temps, je sortais mon chien pour le promener un peu, eh oui, lui aussi avait droit à son bien-être.
Les constatations faisaient, outre l’entretien après la visite d’abattoir avec le responsable, l’objet d’un courrier, qui lui était adressé. Si j’avais constaté des choses graves, elles étaient, par courrier là aussi, portées à la connaissance des Directions des Services Vétérinaires des départements dans lesquels se trouvaient les abattoirs. En cas de gravité extrême, nous écrivions à la Direction Générale de l’Alimentation qui siège au Ministère de l’Agriculture. Ces différentes instances en prenaient note, nous répondaient et agissaient selon leur bon vouloir. C’est-à-dire pas à chaque fois et pas spécialement dans les cas les plus importants. Parfois une absence de réponse permettait de ne pas prendre position et de laisser se noyer, dans le bain de sang des animaux, l’action corrective qui leur aurait été utile. Cependant, il m’a toujours paru curieux d’être obligé de faire remonter les informations aux Services Vétérinaires puisque leurs agents sont présents dans les abattoirs pour contrôler l’hygiène et la salubrité alimentaire, mais aussi pour contrôler le respect des normes en matière de protection animale. Dans ce cas, le ministère ne pouvait qu’être au courant de certaines pratiques. Apparemment, certaines choses leur échapperaient, vu le nombre d’infractions ou de maltraitances en abattoir que j’ai pu constater, et qui persistent encore aujourd’hui !
Concrètement, pour un enquêteur de protection en abattoir (nous sommes peu nombreux), il s’agit de veiller au respect de la réglementation, en l’occurrence le décret du 1er octobre 1997 et l’arrêté du 12 décembre 1997 relatifs aux procédés d’immobilisation, d’étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs. Il s’agit d’apporter de l’aide aux animaux en détresse ou en souffrance, en demandant parfois l’abattage immédiat d’un animal pour abréger des souffrances. Il s’agit aussi d’apporter des conseils pour améliorer la condition des animaux lors de leur unique passage à l’abattoir, dont il est interdit qu’ils sortent vivants. Je me rappelle par exemple que dans un petit abattoir de Bretagne, l’employé avait tout le mal du monde à faire entrer les cochons dans un piège rectangulaire aux parois blanches. J’ai conseillé à la direction de repeindre les parois intérieures en brun ou en noir. Le blanc est effrayant pour les animaux. S’ils reconnaissaient du brun, du noir, voire du gris, des couleurs qui leur sont familières, ils avanceraient plus facilement. Dans un autre abattoir, le tueur ne descendait le palan qui allait servir à suspendre les bovins qu’après avoir procédé à l’étourdissement. La réglementation prévoit que la saignée doit intervenir le plus rapidement possible après l’étourdissement. Il était alors plus logique de descendre en premier le palan, et d’étourdir l’animal après, afin de le saigner plus rapidement. N’y a-t-il personne d’autre, dans un abattoir, pour expliquer cette règle de bon sens ?
Dans certains grands abattoirs, la tenue blanche en porcherie ou en bouverie est interdite. Le blanc, je l’ai dit, est effrayant pour les animaux (d’élevage intensif). Certains abattoirs ont mis des lumières tamisées à l’entrée des pièges pour les productions à cadences élevées. Cela apporte un plus en matière de confort pour les employés ; cela évite aussi de perdre du temps à faire avancer coûte que coûte les porcs dans le couloir qui les mène au piège. Les conséquences sur la qualité de la viande ne sont pas négligeables non plus, puisque l’on diminue ainsi le stress.
En tout état de cause, les enquêtes d’abattoirs sont difficiles à réaliser. Il faut se lever tôt dans la nuit et trouver son chemin pour arriver à l’abattoir. Il faut ensuite se rendre dans un environnement plus ou moins hostile. Il faut affronter un milieu où règne l’horreur, et cela même lorsqu’un abattoir respecte toutes les normes. Nous pataugeons dans le sang. Nous devons supporter les cris des animaux, de ces êtres innocents qui sont apeurés et qui sont dans la détresse.
Pour moi, l’abattage d’un animal qui finit dans notre assiette, c’est l’abattage d’un innocent, ça revient à effectuer un acte violent, car on tue un animal en bonne santé. Cet acte est encore plus violent lors d’abattages rituels, parce que ce mode d’abattage échappe à l’obligation d’étourdissement qui doit rendre les animaux insensibles à la douleur de l’égorgement. L’étourdissement doit être pratiqué par tout le monde dans les abattoirs, sauf par les personnes de confessions juives et musulmanes, qui bénéficient à cet égard d’une dérogation. Le passage dans la gorge de la lame du couteau, qu’effectue le sacrificateur, ne peut être que douloureux, même si les pratiquants de cette forme d’abattage disent le contraire. Nous, les humains, pour la moindre opération nous nous faisons anesthésier, de façon locale ou générale. Proportionnellement, si l’on vous tranche la gorge, ça doit faire très mal, il n’y a même pas besoin d’explications scientifiques. Le bon sens suffit. Un jour, dans un abattoir, un sacrificateur musulman m’a dit : « Nous ne pouvons pas utiliser l’étourdissement, parce qu’il faut que l’animal soit bien vivant au moment de l’égorgement, il faut même qu’il bouge les pattes pendant l’égorgement, ça montre que cela lui fait mal, et ça prouve qu’il est bien vivant !».
Tout abattage est violent parce que même avec un étourdissement préalable, il y a le lieu, l’odeur du sang, les cris des autres animaux, les bruits métalliques, les cadences de production qui font que le personnel pousse, coûte que coûte, d’une façon ou d’une autre, les animaux dans le piège où se passe la mise à mort. Recevoir une décharge électrique derrière les oreilles, avoir la tête plongée dans un bac d’eau à électrolyse ou le crâne perforé jusqu’à la cervelle en guise d’étourdissement, est une violence. Ce sont là les techniques d’étourdissement que j’ai pu voir dans les abattoirs. Mais cela me semble préférable à un égorgement en pleine conscience, car le but de l’étourdissement, c’est de plonger rapidement l’animal dans un état d’inconscience, jusqu’à la fin de la saignée, c’est-à-dire jusqu’au dernier souffle. L’étourdissement constitue une avancée « louable », à condition qu’il soit pratiqué correctement. Il faudrait perfectionner ces méthodes, voire en trouver de plus efficaces. C’est là un dossier sur lequel devraient travailler certaines associations.
Cochon attendant son abattage dans un abattoir. Phot Jean-Luc Daub
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dimanche, 13 mai 2012
Ces bêtes qu’on abat : Aider les animaux d’abattoirs
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Aider les animaux d’abattoirs
Pourquoi avoir quitté les chiens et les chats de la SPA pour les animaux dits d’abattoirs ? J’allais souvent voir ce qui se passait à l’ancien abattoir de Strasbourg, qui était classé « lanterne rouge », en me cachant pour observer les déchargements des animaux. Il m’avait toujours semblé évident que tous les animaux méritaient d’être secourus, même ceux qui finissaient dans l’assiette. Nous sauvions des chiens et des chats, mais les cochons et les vaches n’attiraient pas la compassion de la part des collègues. Pour me faire leur avocat, il faut dire qu’il y a beaucoup à faire avec les animaux de compagnie comme les chiens et les chats, c’est une spécialisation dans la protection animale. Je puis vous dire que ce travail est rude, et qu’il faut parfois avoir le cœur bien accroché tant les horreurs auxquelles ont affaire les SPA sont dures à supporter. Ce que l’on constate au travers des SPA est comme un baromètre qui indique le niveau de déchéance et d’appauvrissement de la conscience humaine.
En dehors de mes heures de travail, j’allais, le matin, le soir ou la nuit, derrière l’abattoir, parfois dans un froid glacial. Je guettais caché derrière les parois en béton. J’assistais à des mauvais traitements que le personnel ou les chauffeurs des camions infligeaient aux animaux. Les vaches qui n’avançaient pas étaient frappées, à coups de bâtons sur les os des pattes, sur la croupe jusqu’à l’éclatement de la chair, à coups de bâtons sur les naseaux qui se mettaient à saigner de façon profuse, à coups de fourches, ou par la torsion de la queue…
Pour les cochons ce n’était pas mieux, beaucoup d’entre eux gisaient morts sur les quais. Un chauffeur les déchargeait en ouvrant en grand les portes du camion, il leur donnait des coups de piles électriques sur n’importe quelle partie du corps, même sur la tête et sur le groin. Les cochons apeurés tombaient du camion les uns sur les autres.
Un jour, j’assistai au déchargement d’une truie qui ne pouvait pas marcher. La nacelle arrière du camion avait été descendue jusqu’à la hauteur d’une caisse roulante. La truie fut poussée dedans à coups de bâton. Elle tomba dans la caisse, la tête vers le bas, tandis que le reste du corps dépassait. C’est alors à l’aide de coups de pieds que le chauffeur tenta de faire rentrer tout le reste du corps dans la caisse. Mais la truie avait la tête en bas et l’arrière-train en l’air comme si elle n’était qu’un sac de pommes de terre (encore que les pommes de terre, si vous les cognez, s’abîment vite, alors je pense qu’on y fait attention). Un autre jour, une vache s’était échappée dans l’enceinte de l’abattoir. Plusieurs employés lui avaient couru après en la matraquant de coups de bâtons pour tenter de la faire revenir vers le local d’abattage.
Le soir, des camions remplis d’animaux se garaient derrière l’abattoir pour y passer la nuit au lieu de décharger les bovins et de les abreuver. Les transports s’étaient effectués toute la journée sous un soleil de plomb. Je m’en souviens, c’était en été. Les animaux étaient serrés dans le camion, seules de petites ouvertures leur permettaient de sortir les naseaux pour prendre de l’air. Les bovins meuglaient désespérément, ne pouvaient plus se tenir debout à l’intérieur et avaient soif pendant que le chauffeur dormait dans sa cabine. Un soir, le chauffeur m’aperçut et déplaça le camion vers le poste du gardien de l’abattoir.
Un autre soir, je réussis à faire dégager une vache qui était couchée : coincée sous les autres, elle ne pouvait plus se relever. Malheureusement, sur les photos que j’avais prises, on peut apercevoir une autre vache, apparemment morte, également coincée, que je n’avais pas vue parce qu’il faisait nuit. À cette époque je ne savais pas comment intervenir pour les gros animaux. La Direction des Services Vétérinaires avait ses bureaux juste en face de l’abattoir, mais je n’ai jamais assisté à une intervention quelconque de leur part.
Je fus alors recommandé à une association qui visite les abattoirs, par une dame qui travaillait pour la SPA. La présidente d’alors me trouvait trop gringalet pour devenir enquêteur dans le milieu des abattoirs. C’est vrai, je n’avais pas la carrure de l’un des deux autres enquêteurs, tous deux morts aujourd’hui, mais au fur et à mesure des enquêtes je devins le plus redoutable ! Bien sûr, j’ai été brutalisé, parfois frappé sur des marchés aux bestiaux. Les tentatives d’intimidation étaient nombreuses, les menaces de mort aussi. Je me souviens que sur un marché aux bestiaux, on m’avait menacé de me pendre sous la charpente en bois si je ne quittais pas le site. Je suis parti et j’ai téléphoné au directeur des Services Vétérinaires du département en question pour lui rendre compte des horreurs que j’avais vues. Il me répondit alors : « Je ne peux pas intervenir car il me faudrait un escadron de gendarmerie, c’est trop dangereux ! ». C’est vous dire les problèmes qu’il y avait sur ce marché et la crainte des autorités compétentes à cette époque. Par contre, plusieurs années après, sur un autre marché, un directeur me réconforta en me disant que chez lui, il ne m’arriverait rien, que j’étais sous sa protection. Cela m’avait beaucoup rassuré.
Lorsque j’ai commencé à faire de la protection animale en abattoir, l’entourage me disait : « Mais pourquoi fais-tu cela ? de toute façon les animaux sont faits pour être mangés ! » ou alors « tu veux éviter quelles souffrances, pour faire quoi ? de toute façon ils vont être tués ! ». Finalement, on me demandait à quoi pouvait bien servir d’éviter aux animaux des souffrances puisque, de toute façon, ils allaient être tués ! Heureusement, je crois que ce temps-là est révolu, du moins je l’espère. Mais on entend encore quelques réflexions comme : « Et qu’est-ce que vous faites des enfants ? des handicapés ? des prisonniers de Guantanamo ? etc… etc… ». Comme si le fait de faire de la protection animale nous rendait responsables des autres souffrances humaines, ou du moins devrait nous culpabiliser. Alors que la plupart des gens qui font ce genre de réflexion n’accomplissent rien dans leur vie. Nous faisons déjà quelque chose à notre échelle. Je connais des gens qui sont engagés sur les deux fronts : humain et animal. Je dirais qu’il ne doit pas y avoir de hiérarchie entre l’espèce humaine et les espèces animales. Pas de hiérarchie non plus dans les souffrances. Pourquoi s’occuper plus des enfants que des personnes âgées ? Pourquoi collectionner des timbres ou faire partie d’une association de sauvegarde des Menhirs en Bretagne, alors que des enfants meurent de faim dans le monde ? Ce n’est pas parce qu’un médecin s’occuperait d’une personne qui aurait le bras cassé, qu’un autre ne devrait pas s’occuper d’une personne ayant une entorse à la cheville ! Ce n’est parce que des Chinois peuvent être exploités dans les usines de leur pays, qu’il ne faudrait pas s’occuper d’êtres (humain ou animal) en souffrance chez nous, en France. Rendez-vous compte que chez nous, des gens se passionnent pour le football, alors que rien qu’en 2006, 137 femmes sont décédées en France sous les coups de leur compagnon ! Ce qui signifie qu’une femme meurt de violences conjugales pratiquement tous les trois jours, selon les chiffres de la Délégation aux victimes du Ministère de l’Intérieur. Pour autant, est-ce que l’on montre du doigt les amateurs de football, ou mieux les collectionneurs de briquets ? Allons !
En ce qui concerne ma profession, je suis éducateur technique spécialisé. J’accompagne dans mon travail des personnes handicapées mentales dans leur vie de tous les jours. Mais bon, là, je suis en train de me justifier, alors qu’il n’y a pas lieu de le faire, et toute personne suffisamment intelligente ne posera pas de questions basses et idiotes !
Je voudrais faire un aparté concernant la SPA de Paris, dont Caroline Lanty avait pris la 39e présidence, car il y eut alors selon moi un changement important. Il me semble avoir lu un article de presse où elle disait que les kermesses SPA où l’on sert de la viande pour la restauration des fêtes, ç’en serait fini. Je crois que c’est une bonne chose que cette décision, parce que j’étais l’année dernière à une « Fête des Animaux » dans un refuge où l’on recueille entre autres des animaux sauvés de l’abattoir, et l’on y servait des saucisses, des merguez et du jambon… C’est un autre débat, mais il y a là matière à réfléchir, parce que sauver des animaux pour en laisser d’autres partir à l’abattoir pose quand même quelques questions…
Truie ne pouvant pas marcher, déchargée dans une caisse roulante à coup de pieds !
Phot Jean-Luc Daub
Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :
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dimanche, 06 mai 2012
Ces bêtes qu’on abat : Mes débuts dans la protection animale
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Mes débuts dans la protection animale
J’ai fait mes premiers pas dans la protection animale en 1993 à la Société Protectrice des Animaux de Strasbourg, où j’assumais la fonction de délégué. Je promenais les chiens, je nettoyais le chenil, mais très vite j’ai été amené à faire des enquêtes lorsqu’on nous signalait de mauvais traitements sur des animaux.
Je me rendais alors chez les particuliers qui faisaient l’objet d’un signalement. Ce n’était pas toujours facile. Parfois les lieux étaient isolés, parfois je me rendais dans des cités dont l’état des immeubles était déplorable, sinistre et hostile, ce qui encourageait plutôt à faire demi-tour. Et tant pis pour le chien en question. Mais non… Je suis toujours allé au bout de mes interventions, même dans les abattoirs ou sur les marchés aux bestiaux. Peut-être par inconscience. Surtout parce qu’il est impossible de renoncer à une intervention lorsque l’on sait qu’un ou des animaux sont en détresse. Et puis, il y avait la possibilité d’être accompagné par la police ou la gendarmerie, lorsque celles-ci acceptaient de se montrer coopératives.
Dans le cadre de ces enquêtes, je me rendis dans une cité de Strasbourg à fort mauvaise réputation. Avant de sonner à la porte de la personne qui avait été dénoncée, j’avais fait une enquête de voisinage pour m’assurer de la véracité des faits qui nous avaient été signalés à l’encontre d’un chien. Je sonnai et me présentai à la personne qui me dit ne pas avoir de chien. Une astuce pour la mettre en difficulté dans son mensonge me vint à l’esprit : je lui dis alors que c’étaient les gendarmes qui m’avaient demandé de venir, et que, si elle ne me laissait pas voir le chien, je reviendrais avec eux. C’est ainsi que je pus voir le chien.
Pour l’apercevoir, il fallut dégager une porte de cagibi encombrée de boîtes en carton et de deux vélos qui faisaient en obstacle. Le propriétaire ouvrit la porte, et je découvris, dans une sorte de petit placard dont la lumière du jour entrait à peine au travers des barreaux en béton, un chien assis sur une épaisse couche d’excréments. Il présentait quelques escarres dues à des blessures. J’entamai un dialogue avec le propriétaire, pour savoir notamment depuis combien de temps ce chien vivait dans ce réduit et pourquoi. Cela faisait six ans qu’il vivait dans le placard parce que, selon lui, un chien n’a pas sa place dans un appartement.
Je n’avais pas besoin d’en entendre plus. Je lui répondis que je ne pouvais pas lui laisser le chien et que, s’il n’avait pas sa place dans l’appartement, il ne l’avait pas non plus dans un placard. J’ajoutai : « J’emmène le chien et vous me signez un document attestant que vous renoncez à la propriété du chien. Si vous n’êtes pas d’accord, je reviens avec les gendarmes ». J’obtins aisément le document et partis avec l’animal, démarche qui ne se substitue pas au dépôt de plainte.
Me voici en bas de l’immeuble avec le chien, une femelle, tout à sa joie de sortir, de découvrir l’herbe, la terre et même un caillou pour jouer. Un collègue de la SPA vint le chercher. Une famille d’accueil lui fut trouvée, mais elle mourut quelques mois plus tard.
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